Une rue de la capitale, parmi tant d'autres

L'une des innombrables rues de la capitale parisienne, qui n'a somme toute rien de spécial. Aucun monument, aucune résidence d'un peintre ou écrivain célèbre, aucun touriste non plus en cette soirée de septembre pluvieuse. Le calme plat. Pour l'instant.

Parapluie dans une main, caméra dans l'autre qu'il lève en mode "selfie", Samuel prépare mentalement un discours. Accroché à son col : une sorte de micro-cravate bon marché acheté sur Amazon. Puis, bam : il allume la caméra et parle avec énergie et bonne humeur.

- Salut les amis, ici SamStories ! Hum... Bon, il pleut, j'espère que le son ne va pas trop en pâtir.

Il rit tout seul.

- Aujourd'hui on est à Paris pour un nouvel épisode de SamFindings, dans un petit quartier tranquille de la capitale. Y a pas mal de trucs à Paris, comme les catacombes, tout ça ; j'en ferai sûrement un autre épisode un jour. Mais aujourd'hui...

Air plus sérieux.

- On va s'intéresser au Blue Moon.

...

Bon, là je mets le générique, hop hop hop, j'attends quelques secondes. Allez Sam, on reprend :

Le Blue Moon, c'est une légende urbaine. Une légende urbaine très tenace dont on parle vraiment partout, c'est super intriguant. Vous êtes là, vous vous promenez le soir par une nuit comme une autre et...

Pouf. Vous croisez la route de ce bar qui sort de nulle part et disparaissez à jamais. Super flippant. Là où c'est intéressant, c'est que ce soir, on est dans l'une de ces rues où, sur r/bluemoon, on dit avoir vu le fameux bar.

...

Là c'est le moment dans ma chambre où je présente les topics Reddit.

Tandis que le vlog de Samuel se déroule à merveille, en dépit, effectivement, de la pluie, deux hommes encapuchonnés s'approchent de lui. Venant de l'autre côté de la rue, l'un d'entre eux tient une bouteille à la main, et les deux rient et parlent fort, visiblement en état d'ébriété; mais lorsqu'ils aperçoivent Samuel, à une quinzaine de mètres d'eux, ils se taisent soudain et regardent dans sa direction.

À leur vue, Samuel coupe sa caméra, l'abaisse, fait un signe de tête aux deux hommes et rebrousse chemin comme si de rien n'était. Réaction normale, non ? Réaction sensée si on ne souhaite pas se faire dépouiller ou pire, planter dans un coin paumé de Paris en pleine nuit.

À moins que...

Que leur poser des questions sur le Blue Moon pourrait pimenter sa vidéo ?

...

Arrête de te faire des films et marche, Sam.

Il lui semble entendre quelques remarques désobligeantes sur sa prétendue allure efféminée de la part des deux hommes, mais ils sont trop ivres et leur élocution trop maladroite pour en être sûr. Quoiqu'il en soit, la ruelle dans laquelle il arrive en rebroussant chemin est quant à elle entièrement vide, et calme. Et peut-être est-ce la montée d'adrénaline qu'il vient de vivre qui lui joue des tours, mais il a bien l'impression que le temps s'est couvert, et qu'un brouillard se lève progressivement, de plus en plus dense.

À la vue du brouillard, Sam retient son envie de faire un "Yes !". Météo France a vu juste, il aura du brouillard dans sa vid ! Trop bien.

Sam jette un œil dans son dos pour voir s'il est suivi avant de reprendre son tournage.

Autant qu'il puisse le dire, il n'est pas suivi; il n'entend en tout cas aucune voix ni aucun bruit suspect, et n'aperçoit rien. Mais cette brume était curieusement épaisse, si bien qu'en se retournant il a du mal à discerner la rue d'où il vient. Enfin, en tout cas, les conditions sont idéales pour un tournage des plus mystérieux, qu'il est libre de reprendre.

Bon... Aussi loin qu'il s'en souvienne, il n'a jamais vu de brouillard aussi épais que ça. Mais ce n'est pas un drame, mh ? Il ne va pas se perdre, il a Google Maps.

- Ok, ok... On va reprendre. Mais juste avant...

Sam pose sa caméra au sol, enlève son sac à dos, ouvre son sac à dos, sort de son sac à dos une sorte de lampe à LED circulaire et l'accroche sur sa caméra. C'est un éclairage qui lui permettra d'être mieux discerné à l'image.

Son sac remis sur le dos, il remet sa caméra en position "selfie" et appuie sur REC.

- Le brouillard s'est levé d'un coup. En quelques secondes, même pas une minute. C'est la même rue qu'au début de la vidéo et pourtant... Paf. J'ai l'impression d'être observé.

Ce dernier commentaire est faux mais bon, faut bien foutre les chocottes aux viewers.

Dans le retour de la caméra, Samuel se rend compte qu'il a bien fait d'apporter sa lampe, puisque l'on ne distingue désormais plus rien d'autre que sa tête. Quelques minutes à peine avaient passées, et il était désormais difficile, voir impossible, de discerner quoique ce soit à plus de deux mètres de distance; la pluie a cessé de tomber et le silence, lui, est si total qu'il en devient pesant. En bref, c'est une véritable ambiance de film d'horreur qui s'empare de cette ruelle; mais l'aspirant youtuber n'aurait probablement pas pu rêver mieux.

- Hum...

Caméra toujours allumée, il regarde aux alentours en commençant à devenir sincèrement soucieux. Il tente de trouver un mur pour s'y adosser et rester là. Il parle à voix basse.

- Ok, c'est vraiment flippant.

Sam montre les alentours avec sa cam avant de revenir à son visage.

- Je vois rien. Un truc pourrait se cacher à deux mètres de moi que j'en saurais rien. Je vais essayer de retrouver mon chemin avec mon téléphone.

Ainsi dit ainsi fait : il sort son Android et essaye d'ouvrir Google Maps.

Aucune réseau, ni internet, ni téléphonique : c'est comme si son téléphone n'avait pas de carte sim. Alors qu'il continue son vlog qui prenait une tournure de plus en plus singulière, un tintement se fait entendre, au loin, discret mais incessant.

Parapluie par terre, yeux sur son téléphone, caméra toujours allumée, Sam pousse un long soupir avant de regarder autour de lui de façon tendue mais loin d'être paniquée. Sa voix reste basse.

- Aucun réseau. Je n'ai aucun réseau, rien. À Paris.

Il décide de montrer son téléphone à la caméra avant d'entendre les clochettes. Sam entrouvre la bouche en fixant l'origine du son. Puis, il regarde la caméra en chuchotant.

- Mais c'est quoi ce bordel ? Je vous jure que y a aucun trucage, rien. Vous avez entendu ? Vous avez entendu les clochettes ? C'est comme dans l'histoire du Blue Moon. Je comprends pas, c'est... beaucoup trop bizarre, y a un monde où un taré m'attend dans la brume. Je vais arrêter de parler et juste filmer.

Sam range son téléphone, attrape son parapluie fermé et ainsi commence une prise digne des plus grands found footage où notre youtubeur filme ce qu'il voit. Il décide d'avancer à petits pas vers les clochettes.

Notre déterminé vlogger poursuit sa route, tandis qu'il ne peut pas filmer grand chose tant la brume est devenue épaisse en quelques minute. A vrai dire, il ne discerne plus grand chose autour de lui, et c'est surtout à l'ouïe qu'il s'oriente désormais vers le tintement de la cloche qui se fait de plus en plus présent, de plus en plus pressant, résonnant comme un appel jusqu'aux oreilles du jeune homme.

Sam serre fort son parapluie. Si quelqu'un se cache dans la brume, il se prépare à se défendre.

Et au milieu de la tension, de la crainte, de l'inquiétude, il y a... Il y a une pensée tristement honnête : "Cette vidéo sera géniale".

Petit à petit, tandis que personne ne surgit de la brume pour agresser Samuel, il lui semble percevoir quelque chose à travers la brume, vers ce qui semble être l'origine de ce son de cloche : un petit éclat doré qui perce l'obscurité pour atteindre la rétine de l'influenceur.

Sam s'arrête. Il veut bien être aussi rationnel que possible, chercher une explication mais c'est beaucoup trop bizarre, là. Wtf. Il est bien content de filmer ; il aura un moyen de se prouver que non, il n'est pas en train d'halluciner.

Toujours sur ses gardes, toujours poussé par une curiosité, un désir d'avoir THE vidéo, Samuel s'approche.

Le Blue Moon existerait vraiment ?

Le Blue Moon ? Peut-être. Mais si c'était le cas, il avait pris un coup de vieux. Car devant Samuel se dresse une bâtisse en ruines, au bois noirci par les flamme, dont l'architecture jurait totalement avec celle de ce quartier de la capitale. Rien ne semblait subsister de ce qui avait probablement un jour été un bar, si ce n'était une petite clochette dorée accrochée à la façade, dont le tintement incessant était de plus en plus envahissant.

Samuel s'arrête devant la bâtisse. Bon, bon, bon... Il souffle un grand coup en tournant la cam vers son visage, l'air soucieux. Voix basse :

- J'ai vu beaucoup trop de films d'horreur. Putain, je vous jure, j'ai peur d'être tombé dans un portail vers les enfers, c'est-c'est... peut-être stupide mais je me le demande vraiment. C'est pas normal ce qui se passe.

Il tourne la caméra vers la bâtisse, la filme dans son ensemble.

- C'était pas là, ça. Ça a jamais été là. J'en suis certain. Ok, ok, ok... Ok, Sam. Réfléchis. Est-ce que tu as vraiment envie d'entrer ? On peut partir, hein, on peut éviter de s'enfoncer davantage dans une dimension parallèle digne de Lovecraft qui te rendra taré dans moins d'une heure.

Là, Sam n'ajoute rien. On ne perçoit que son souffle.

Tu te fais des films, Sam. Les films d'horreur, c'est que des films. Tu t'es sûrement juste paumé. Entre et fais la meilleure vidéo de ta vie.

Alors il entre. Ou du moins, il essaye.

Sam tenait probablement effectivement le vlog de l'année, tant l'ambiance horrifique était réelle, palpable, même. Mais lorsqu'il tente de passer la porte... Rien. La ruine avait probablement été condamnée. Mais ce tintement... il continue de se faire entendre, alors même que la clochette semble immobile.

Au fond, Sam doit se l'avouer : il est content que la porte ne puisse pas être ouverte. Doucement, il s'approche de la clochette et la filme de près.

- C'est pas possible. Nan, c'est pas possible. Ok, je laisse tourner encore dix secondes puis je coupe, j'ai vraiment pas envie que cette vidéo ne soit pas sur ma carte.

Dix secondes passent...

Et hop : cut. Il réappuie sur REC juste après et approche sa main de la clochette.

- J'espère vraiment que c'est une caméra cachée.

Tendu, il touche la clochette.

Ce petit mouvement suffit. Dès qu'il touche la clochette, celle-ci se met à s'agiter et à retentir, de plus en plus fort, jusqu'à ce que l'insupportable bruit ne se répercute partout autour de Samuel, jusqu'à l'intérieur même de sa boîte crânienne. Le bruit strident lui cause une vive douleur au niveau de la boîte crânienne, et il lâche sa caméra, qui tombe au sol, sous le choc. Ce tintamarre dure une bonne dizaine de secondes, peut-être plus, avant qu'il puisse enfin rouvrir les yeux. Lorsque ce sera fait, il verra devant lui en lieu et place des ruines brûlées un bar flambant neuf. Sa façade est bleue, et des rideaux pourpres cachent l'intérieur, mais l'on peut entendre un air de jazz à travers les parois. Enfin, le clou du spectacle, probablement : un néon orné d'une lune, traçant les lettres suivantes - Blue Moon.

Eh bien, ce n'était pas une caméra cachée. Il souffre, grogne, ferme les yeux par réflexe et se tient la tête avec les mains, faisant tomber sa caméra et son parapluie.

Tout ça pour que, presque sonné, en ouvrant les yeux...

Il trouve le Blue Moon.

Bouche entrouverte, il reste quelques temps ébahi avant de rire.

- Je deviens fou. Je deviens complètement fou. Haha, héhé. Héhé... Non, je ne suis pas fou, pas vrai ?

Sur son visage, on voit un sourire mêlé à un air inquiet. Il attrape sa caméra et examine les dégâts. Est-elle morte ? La carte SD est-elle récupérable ?

La caméra a pris un sacré coup, et elle n'est en l'état plus utilisable; mais Samuel pourra probablement récupérer la carte SD. A l'oeil nu, difficile d'estimer si les dégâts peuvent être réparés. Quoi qu'il en soit, les portes du Blue Moon lui sont désormais grand ouvertes.

- Merde, merde...

Son coeur bat fort. Depuis quand les creepypastas ça existe vraiment ? Bon sang de bonsoir. Ok, Sam, garde ton calme. Souviens-toi de ces vidéos YouTube "How to Beat" qui expliquaient comment survivre à chaque film d'horreur. Tu ne dois pas perdre tes moyens ou tu vas crever.

Sam s'accroupit, récupère sa carte SD, la range dans sa veste et fourre la caméra cassée à l'intérieur de son sac. Il a l'impression d'avoir un vertige, comme si le sol allait se dérober sous ses pieds. C'est le surplus d'informations, l'incompréhension, le sentiment qu'il est en danger...

Une fois sa besogne terminée, Sam se relève et attrape son parapluie à deux mains. Il reste attentif à ses alentours et, aux aguets, s'approche de la porte pour la traverser, prêt à combattre ou fuir quiconque le menacerait.

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